Biographie - Joe Grass

« Chased the moon across the water… » chante Joe Grass sur ce magnifique nouvel album dynamique. « Climbed a rusted staircase to a star. » Sur Falcon’s Heart, l’auteur-compositeur-interprète façonne l’inédit en déconstruisant des chansons country pour les rendre kaléidoscopiques. L’album de 10 titres est imprégné de couleurs et de textures nées de la manière la plus élémentaire : un homme, livrant trois accords sur la guitare de son père, et dont le processus de composition s’inscrit dans la tradition de John Prine.

« Je me suis dit que si j’arrivais à écrire une chanson simple, le reste allait suivre. J’ai appris cela en travaillant avec d’autres personnes », dit Grass. Il compose sa propre musique depuis près d’une vingtaine d’années, mais depuis qu’il a quitté Moncton pour s’établir à Montréal, il est devenu l’un des partenaires musicaux les plus recherchés de la métropole. Il a notamment collaboré avec Lhasa, Patrick Watson, Elisapie et the Barr Brothers – en plus de travailler avec Klaus, son propre groupe d’avant-pop. Il a également coréalisé l’album d’Elisapie The Ballad of the Runaway Girl, lauréat d’un prix Polaris, et a contribué à l’écriture et aux arrangements de Love Songs for Robots et Wave de Patrick Watson. Ces partenariats lui ont enseigné comment décomposer une chanson, c’est-à-dire comment reprendre l’idée de quelqu’un d’autre pour trouver de nouvelles façons de l’étoffer. Avec Falcon’s Heart, il voulait mettre en œuvre la même approche dans le cadre de son propre travail : pourrait-il composer lui-même la chanson, puis la reconstruire sous une nouvelle forme?

Cette fois, il s’est inspiré du processus d’écriture classique direct, authentique et dépouillé de la musique country. « Je retourne toujours à George Jones et à d’autres vieux noms du genre », explique-t-il. Lorsque la pandémie a mis sur pause les tournées, Grass a commencé à travailler des blocs de trois heures au studio : un matin à la fois, fumant clope sur clope, à la recherche de la mélodie que n’importe qui pourrait chanter. Il jouait une Harmony Sovereign, une guitare à grosse caisse héritée de son père et qui a récemment été réparée après avoir été foulée par une vache. « J’essayais de ne pas réfléchir, dit-il. » « De ne pas faire « quelque chose d’intéressant – de simplement chanter ce que j’avais en tête. Je voulais saisir ce qui est éphémère. » À la fin d’une séance, s’il n’avait pas terminé une chanson, il l’éliminait. Puis, il s’assoyait à son pedal steel et jouait du Bach.

Dans le passé, Grass commençait par trouver une texture sonique, un nouveau timbre ou une harmonie, à partir de quoi il composait une chanson. Cette fois, il a fait le contraire, choisissant de découvrir après coup la disposition des notes et les textures. Ce n’est qu’après avoir les squelettes de ces chansons en tête – « High and Lonesome », ludique et ardente, ou « Hart Island », une ballade implorante – qu’il a convié ses amis David Gossage, Philippe Lauzier et Jean René à des séances d’improvisation avec pedal steel, flûtes, clarinette basse et violon alto. À l’aide de ces sons, il a ensuite réécrit et réarrangé les pièces initiales. Au moment de l’enregistrement au studio Pierre Marchand, ce qui avait commencé dans l’esprit de John Prine et de George Jones évoquait maintenant l’éventail plus large des intérêts de Grass : de Tom Zé et Ry Cooder à Steve Reich et Lata Mangeshkar, sans oublier Astral Weeks, All Is Well de Sam Amidon et le dernier album de Big Thief.

Quatre jours après avoir terminé l’enregistrement des chansons, l’ingénieur de son de l’album, Robert Heaney, a succombé à une crise cardiaque. Heaney était une légende canadienne et Falcon’s Heart est le dernier album qu’il a achevé. Il lui est d’ailleurs dédié, à lui et au père de Grass, Douglas, qui est décédé récemment. La dernière pièce de l’album, « Touch the Void », dépeint le moment où il a appris la nouvelle – à un mariage en Colombie, sous les étoiles – et l’amour de Grass pour son père. « Open eyes in the last lights’ dim », chante-t-il sur un rythme étonnamment léger et enjoué. La chanson se termine avec le saxophone de Lauzier, qui s’estompe comme un souvenir. Un clin d’œil à l’amour que Douglas vouait au jazz.

Falcon’s Heart est riche de moments du genre : des couplets profonds et sincères mis en lumière par les arrangements remarquables de Grass. « Hart Island » était peut-être une oraison solitaire au début, mais la version finale voit briller les cordes et les synthétiseurs ténus et se termine avec un solo de guitare effréné. « High and Lonesome » est marquée par la polyrythmie et un phrasé soutenu, alors que « Guadalupe » laisse un violon alto épuré et des sons électroniques vacillants peindre un portrait jovial de l’apocalypse. La chanson-titre est davantage empreinte d’un esprit agité, offrant une réflexion sur le vieillissement et ses contrecoups, portée par les cordes de guitare pincées et le saxophone basse sombre de Jason Sharp.

Tout au long de l’album, la composition de Grass tient en équilibre, oscillant entre cœur léger et cœur lourd. Même dans les chansons sur les personnes déplacées ou la dépendance, une touche d’humour s’immisce agilement – tout comme s’y glisse un vœu mystique et constant. « Chased the moon across the water », chante Joe sur la pièce « E. Absolute », qui constitue sans doute le cœur de l’album. « Climbed a rusted staircase to a star… »

L’album Falcon’s Heart sera disponible dès le 26 mai prochain chez Simone Records.